Thèse en histoire

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Optimus Princeps
Militian
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Thèse en histoire

Message non lu par Optimus Princeps »

Salut,

Je m'appelle Benjamin et à la demande de Fredo, je viens présenter ma thèse de doctorat en histoire de l'informatique que je termine cette année et pour laquelle j'ai eu recours aux ressources d'abandonware magazine.

Etudiant en histoire à Paris IV Sorbonne, je me suis lancé sous la direction du Pr Pascal Griset d'abord dans un mémoire de master (classique). J'avais envie de faire de l'histoire des techniques qui est un domaine assez peu connu en histoire. J'ai travaillé en maîtrise et en DEA (ça s'appelait encore comme cela à l'époque, avant d'être rebaptisé Master I et Master II) dans l'étude du premier département d'ergonomie de l'informatique de France grâce aux archives de l'Inria de Rocquencourt (Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique). Après ce premier travail qui retraçait les activités d'un groupe de recherche du début des années 1960 à nos jours, j'ai interrompu mes recherches pour passer les concours de recrutement du professorat. Une fois obtenu, je me suis retrouvé prof en Lycée (à Compiègne). J'ai terminé mon DEA à ce moment. Toujours le même sujet, mais dans l'optique de faire une thèse de doctorat sur l'ergonomie de l'informatique en France d'un point de vue général.
Recruté AM puis ATER à Paris IV, j'ai passé quatre ans à enseigner à l'université et j'ai finalement obtenu cette année un poste de PRAG qui, sans entrer dans les détails, est enfin un poste définitif.
Voilà pour le parcours.

Venons-en à la thèse.
En histoire, le doctorat est un projet de (très) longue haleine. In fine, il faut fournir un mémoire de recherche qui fait entre 800 et 1000 pages sur un sujet que l'on maîtrise de fond en combles. La mienne porte sur La naissance de l'interactivité et de la notion d'utilisateur grand public en informatique et en télécommunications en France (1950's-1990's). Elle est organisée autour d'une idée simple et directrice : comment passe-t-on en France d'une informatique et de dispositifs de télécommunications dédiés à des spécialistes (on parle de dispositifs "auto-référentiels" pour lesquels l'utilisateur est souvent le concepteur lui-même ou un autre individu, mais qui possède un niveau de maîtrise similaire) à des outils grand public ?

Je réponds à cette question en m'intéressant aux mutations des interfaces qui sont la clef de voûte de cette appropriation. D'abord en étudiant des projets où apparaissent les ergonomes dans les années 1960 et 1970 et qui sont marqués par la difficultés de mettre l'utilisateur "professionnel" au contact d'une machine radicalement nouvelle et demandant un haut niveau de qualification (typiquement le premier projet de ce genre est l'informatisation du contrôle aérien). J'en viens ensuite à des projets où la composante "formation" se réduit dans les années 1970 et 1980. C'est l'âge de la mutation de la "grande bureautique" et de l'arrivée en France des influences américaines en matières de réflexions sur les interfaces (avec un premier dispositif à icones et menus du côté de l'Inria qui restera un prototype).
C'est également le début du projet Minitel du côté des Télécommunications qui culmine en 1984 avec l'ouverture nationale de notre "little french box". Les enjeux de dispositifs grand public se résument à cette dichotomie richesse d'usages-facilité d'utilisation. J'essaie de montrer que les concepteurs coupent la poire en deux en réalisation une interface de type textuelle (pas d'outil de désignation et de représentation symbolique) qui fonctionne plutôt bien et qui représente dans les usages et les représentations une rupture radicale (premier dispositifs électronique d'accès à des bases de données apparu dans le quotidien des français bien avant Internet).

Enfin, dans une dernière partie (les lecteurs encore attentifs - il en reste ? - auront remarqué le plan en trois parties comme il se doit en histoire), je montre que les années 1980 et le début des années 1990 sont le moment du triomphe de l'interface Wimp (Windows Icons Menus Pointing device) grâce à la première micro-informatique personnelle.

Jusque-là, j'ai utilisé pour ce travail des archives "assez classiques" : archives de l'Inria, de revues scientifiques, archives des Postes et Télécommunications (et de leurs départements de recherceche comme le CNET ou le CCETT). Pour entrer dans la dimension plus sociétale de la diffusion de la micro-informatique dans la société française, j'ai ensuite largement recours à la presse spécialisée et aux clubs d'utilisateurs.

C'est là que j'ai rencontré avec délices Abandonware magazines. J'ai complété grâce au site une (longue) campagne de dépouillement d'abord réalisée à la bibliothèque nationale, puis auprès des témoins qui ont bien voulu me prêter de la documentation.
J'ai trouvé sur le site de quoi nourrir pas pal de mes réflexions et je tenais à tirer un grand coup de chapeau aux concepteurs et animateurs d'un tel projet.
Loin de n'intéresser que quelques geeks nostalgiques, de tels projets montrent toute l'importance de la mutualisation des connaissances et des documentations que permet Internet !

Dernier point, mon parcours de "littéraire" et l'informatique (Fredo m'avait demandé de l'aborder, ça semblait l'intéresser). Comme l'indique mon parcours, je suis un pur littéraire (section L au Lycée, Histoire à la fac) et je n'ai aucune connaissance en programmation, ingénierie ou autre. Pour traiter un tel sujet, on se forme sur le tas. Le but n'est de toute manière pas de faire une histoire "internaliste" dans laquelle on compte les circuits imprimés, mais de comprendre comment une technologie se développe et se répand dans une société.
De plus, cela est très lié à la culture "historienne", il est bon de ne pas être trop proche de son objet pour garder en objectivité. Ainsi, même si j'aime passionnément mes objets d'étude (ça fait 5 ans que je vis avec eux presque tous les jours), je ne suis pas à proprement parler un passionné d'informatique en tant que tel, ce qui me permet plus facilement d'adopter une vision englobante et distanciée.

Voilà, j'espère que personne ne s'est endormi et je suis à votre disposition si vous avez des questions.

Benjamin
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Fredo_L
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Re: Thèse en histoire

Message non lu par Fredo_L »

Merci pour ce texte de présentation que j'ai trouvé assez intéressant.

En revanche, c'est dommage de se limiter à l'interface car à mon avis, pas mal d'autres facteurs entrent en jeu.
Par exemple, il y a le prix des machines qui a fortement baissé avec le temps, et qui a permis à plus de familles de s'équiper en informatique.
Il y a aussi une simplification du câblage des machines (un ordinateur de bureau récent n'a quasiment plus que des prises USB, et des codes couleurs pour ne pas se tromper entre la prise des enceintes et la prise pour brancher son micro). Et même avec une telle simplification, certains ont encore du mal, mais pour eux, il existe des ordinateurs portables (dans le temps, ils étaient lourds et chers, ce qui faisait que peu en avaient).
Il y a également Internet qui a joué un rôle très important. A mon avis, une personne vivant en dehors de toute connexion au réseau Internet (par exemple, en haut d'une montagne isolée), n’achètera pas d'iPhone ou d'iPad car même si ces appareils ont une bonne interface, ils présentent beaucoup moins d'intérêt si on ne peut pas les relier à un réseau.

Quand tu auras fini ton mémoire, je serais intéressé par un PDF si c'est possible.
Je ne pense pas que j'aurais le courage de lire les 800 pages, aussi, je me contenterai de regarder les passages qui m'intéressent le plus.

Les documents auxquels tu as eu accès, n'importe qui aurait pu les consulter (INRIA, CNET, BNF, etc.), ou bien, seuls les chercheurs peuvent les lire ?
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Kantaro
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Re: Thèse en histoire

Message non lu par Kantaro »

Bonjour,

merci pour ce texte de présentation que j'ai également trouvé très intéressant.

Je vais citer et répondre à un point concernant ton parcours qui m'interroge un peu.
Optimus Princeps a écrit : Recruté AM puis ATER à Paris IV, j'ai passé quatre ans à enseigner à l'université et j'ai finalement obtenu cette année un poste de PRAG qui, sans entrer dans les détails, est enfin un poste définitif.
Déjà, je sais ce que sont les ATER et les PRAG, mais par contre, AM, je ne crois pas avoir déjà vu cette abréviation. (et google ne veux pas m'aider sur le coup...)
Pour ton poste de PRAG, est-ce pour enseigner dans un lycée ou à l'université ? (si je me souviens bien, l'agrégation permet l'un comme l'autre, mais je crois que c'est plus souvent en lycée que l'on trouve des postes disponibles...)
Si c'est pour enseigner à l'université, au vu de ton parcours, c'est ce que l'on peut appeler la consécration (bravo au passage !)
Si c'est pour enseigner dans lycée, ça me surprend un peu, je verrai un peu ça comme un retour en arrière par rapport à l'enseignement à l'université (que ce soit concernant le niveau de ce que l'on enseigne, concernant la maturité de son public...), mais je peux me tromper.
Fredo_L a écrit : En revanche, c'est dommage de se limiter à l'interface car à mon avis, pas mal d'autres facteurs entrent en jeu.
L'un des grands principes des thèses de doctorat, et dans une large mesure des mémoires de Master I/MasterII (ou Maitrise/DEA/DESS à l'époque), c'est que l'on fait des recherches sur un sujet TRÈS ciblé, TRÈS précis, et que l'on ne s'occupe pas de ce qui sort de ce cadre. ^^
Je schématise, mais à peine...
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Fredo_L
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Re: Thèse en histoire

Message non lu par Fredo_L »

Kantaro a écrit :Déjà, je sais ce que sont les ATER et les PRAG, mais par contre, AM, je ne crois pas avoir déjà vu cette abréviation. (et google ne veux pas m'aider sur le coup...)
PRAG = professeur agrégé
ATER : attaché temporaire d'enseignement et de recherche
AM : allocation et monitorat (ou Allocataire-Moniteur)

Sinon, je pense qu'il doit travailler à l'université.
Optimus Princeps
Militian
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Re: Thèse en histoire

Message non lu par Optimus Princeps »

Re,
merci pour ce texte de présentation que j'ai également trouvé très intéressant.
Merci. Je me demandais si cela allait intéresser qui que ce soit ici (en dehors de Fredo et de sa commande pour mieux cerner mon intérêt pour le site.
L'un des grands principes des thèses de doctorat, et dans une large mesure des mémoires de Master I/MasterII (ou Maitrise/DEA/DESS à l'époque), c'est que l'on fait des recherches sur un sujet TRÈS ciblé, TRÈS précis, et que l'on ne s'occupe pas de ce qui sort de ce cadre. ^^
C'est effectivement le principe. C'est pour cela que je ne laisse pas de côté les dimensions techniques (miniaturisation, augmentation de la puissance de calcul...) ou tarifaire (baisse des coûts et des prix), mais que je me focalise sur un sujet non encore traité qui concerne la construction d'une figure de l'utilisateur "grand public" et des moyens de lui fournir des matériels et logiciels utilisables.
Les documents auxquels tu as eu accès, n'importe qui aurait pu les consulter (INRIA, CNET, BNF, etc.), ou bien, seuls les chercheurs peuvent les lire ?
Certains sont libres d'accès (c'est le cas pour certains documents à la BNF qui ne demandent pas d'accréditation spéciale. C'est parfois plus compliqués pour les archives proprement dites qui demandent l'obtention d'un accord de l'institution qui les hébergent et les a produites. Certaines aux archives nationales sont également faciles d'accès (archives ministérielles ou de l'Education nationale pour l'EAO).
Le plus dur n'est pas tant d'y avoir accès que de les trouver (même si j'ai cherché les archives du CCETT qui n'existe plus pendant près de quatre ans), que de les compulser et d'en tirer quelque-chose d'utilisable.
Quand tu auras fini ton mémoire, je serais intéressé par un PDF si c'est possible.
Je ne pense pas que j'aurais le courage de lire les 800 pages, aussi, je me contenterai de regarder les passages qui m'intéressent le plus.
Je te le ferai passer avec plaisir. Pour le moment, j'ai quelques articles qui traînent dans des revues scientifiques qui permettent parfois de lire ma prose en ligne. tu peux aller voir ça à http://benjaminthierry.fr

Voilà pour l'essentiel. A votre disposition.

Benjamin

P.S. J'enseigne effectivement à l'université.
Optimus Princeps
Militian
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Re: Thèse en histoire

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Salut à tous,

Juste un petit mot pour vous dire que j'ai soutenu ma thèse en décembre. Elle est disponible à cette adresse pour celles et ceux que ça intéresse : http://www.benjaminthierry.fr

Bonne soirée

Benjamin
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Fredo_L
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Re: Thèse en histoire

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Récupéré !
Cependant, comme cela a l'air sacrément long, il me faudra du temps pour la lire.
Merci en tout cas.
Optimus Princeps
Militian
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Re: Thèse en histoire

Message non lu par Optimus Princeps »

C'est long, c'est vrai. C'est probablement la troisième partie qui intéressera le plus les amateurs de rétro-micro (pas trouvé de meilleur terme).

Je vais la publier dans un format plus "raisonnable" dans les mois qui viennent.

A+
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